EMPLOI ET VIE SOCIALE

07/07/2014 11:10

L’épreuve du chômage impacte-t-elle les autres dimensions de la vie sociale ?

Hélas, oui. Le chômage accroît le risque dedisqualification sociale, en fragilisant l’ensemble des liens sociaux. Plus le chômage se prolonge, plus ses effets négatifs se font sentir sur la sphère familiale, la vie de couple, le cercle des amis, les relations avec les institutions. Ce processus cumulatif, décrit pour la première fois dans les années 1930, est très bien documenté.

Les solidarités familiales ne résistent donc pas au chômage…

En France, de nombreux demandeurs d’emploi acceptent d’être soutenus moralement mais refusent de solliciter de l’aide dans la durée. Dans une société qui valorise l’autonomie, ils jugent honteux et humiliant de dépendre de leurs parents. D’ailleurs, ces derniers considèrent eux aussi qu’il n’est pas opportun de soutenir indéfiniment celui quine trouve pas de travail. L’institutionnalisation des aides contribue à rendre moins légitime le recours à la solidarité familiale. Les proches veulent bien donner un coup de pouce. Mais ils attendent d’abord du chômeur qu’il recherche activement un emploi et sollicite les organismes.

En cas de difficultés, on peut quand même compter sur le conjoint !

Certes, mais le fonctionnement du couple, qui est fondé sur un modèle égalitaire, obéit à la même logique. Bénéficier du soutien de l’autre, dans la durée, implique de garder, à ses yeux, une ­situation sociale honorable. Or celui qui est au chômage se retrouve en position inférieure. Il reste à la maison avec ses problèmes quand le conjoint part, lui, au travail tous les jours. C’est source de tensions dans le couple. La preuve, c’est qu’on observe une très forte corrélation entre chômage et ruptures conjugales. Sauf quand les deux partenaires sont en recherche d’emploi car il y a, de nouveau, symétrie dans la relation.

Cette injonction à l’auto­nomie est-elle une spécificité française ?

On retrouve ce modèle de responsabilité partagée entre famille et pouvoirs publics en Allemagne et en Grande-Bretagne. Mais pas dans le nord de l’Europe, où l’État garantit le niveau de vie des pauvres. Ni dans le Sud, où règne le familialisme. En Espagne, au Portugal ou en Grèce, ceux qui détiennent un emploi stable assurent la protection de leur clan. Ce modèle valorise l’acceptation d’une certaine forme de dépendance. Il permet aux chômeurs de vivre moins mal le fait d’être hébergés dans la famille et de bénéficier de son soutien. Au prix, parfois, d’un sentiment d’étouffement et de solitude.

En cas de crise durable, la France peut-elle basculer dans ce modèle ?

Quand une société est en crise, quand la confiance dans les institutions s’affaiblit, on constate que les chômeurs ont tendance à résister en réduisant leur niveau de vie. De façon drastique s’il le faut. Mais que très peu consentent à se rapprocher de leur famille pour être aidés. La norme d’autonomie est très présente chez les chômeurs français. Elle freine leur capacité à se tourner vers leurs proches de façon durable.

Propos recueillis par Stéphane Béchaux

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